Aux champs
Texte d'origine : http://www.bmlisieux.com/litterature/maupassant/auchamp.htm
AUX CHAMPS
A Octave Mirbeau Les deux chaumières étaient côte à côte, au pied d'une colline, proches d'une petite ville de bains.
Les deux paysans besognaient dur sur la terre inféconde pour élever tous leurs petits. Chaque ménage en avait quatre. Devant les deux portes voisines, toute la marmaille grouillait du matin au soir. Les deux aînés avaient six ans et les deux cadets quinze mois environ ; les mariages et, ensuite les naissances, s'étaient produites à peu près simultanément dans l'une et l'autre maison. Les deux mères distinguaient à peine leurs produits dans le tas ; et les deux pères confondaient tout à fait. Les huit noms dansaient dans leur tête, se mêlaient sans cesse ; et, quand il fallait en appeler un, les hommes souvent en criaient trois avant d'arriver au véritable. La première des deux demeures, en venant de la station d'eaux de Rolleport, était occupée par les
Tuvache, qui avaient trois filles et un garçon ; l'autre masure abritait les Vallin, qui avaient une fille et trois garçons. Tout cela vivait péniblement de soupe, de pomme de terre et de grand air. A sept heures, le matin, puis à midi, puis à six heures, le soir, les ménagères réunissaient leurs mioches pour donner la pâtée, comme des gardeurs d'oies assemblent leurs bêtes. Les enfants étaient assis, par rang d'âge, devant la table en bois, vernie par cinquante ans d'usage. Le dernier moutard avait à peine la bouche au niveau de la planche. On posait devant eux l'assiette creuse pleine de pain molli dans l'eau où avaient cuit les pommes de terre, un demichou et trois oignons ; et toute la lignée mangeait jusqu'à plus faim. La mère empâtait ellemême le petit. Un peu de viande au potaufeu, le dimanche, était une fête pour tous, et le père, ce jourlà,