Charles baudelaire
III ÉLÉVATION
Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées, Des montagnes, des bois, des nuages, des mers, Par-delà le soleil, par-delà les éthers, 4 Par-delà les confins des sphères étoilées, Mon esprit tu te meus avec agilité, Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde, Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde 8 Avec une indicible et mâle volupté. Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ; Va te purifier dans l’air supérieur, Et bois, comme une pure et divine liqueur, 12 Le feu clair qui remplit les espaces limpides. Derrière les ennuis et les vastes chagrins Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse, Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse 16 S’élancer vers les champs lumineux et sereins ; Celui dont les pensers, comme des alouettes, Vers les cieux le matin prennent un libre essor, – Qui plane sur la vie, et comprend sans effort 20 Le langage des fleurs et des choses muettes !
Page 2 sur 9 « Elévation » est le poème III des Fleurs du mal, place inchangée au cours des trois éditions successives : 1857, 1861 et enfin l’édition posthume de 1868. Remarquons cependant la différence qui sépare l’édition de 1857 des deux éditions suivantes, en ce qui concerne l’ordre des poèmes : 1857 I Bénédiction I II II Le Soleil III Elévation IV Correspondances V « J’aime le souvenir… » 1861/68 Bénédiction L’Albatros
III Elévation IV Correspondances V « J’aime le souvenir… »
Dans la première édition, le poème qui précède « Elévation » est « Le Soleil », qui sera remplacé par le célèbre « Albatros » qui fait alors son entrée dans le recueil. « Le Soleil » sera déplacé dans la section « Tableaux parisiens » qui n’existait pas en 1857. On le sait, les Fleurs du mal sont plus un livre qu’un recueil, Baudelaire a revendiqué un ordre des poèmes. La substitution implique donc deux lectures différentes, sinon du livre dans son ensemble, au moins du début du livre. Ce qui change entre la première et la seconde édition, c’est non seulement un