Commentaire
Le 6 novembre 1928, Aragon rencontre la Russe Elsa devenue Triolet par son mariage, la femme qui va révolutionner aussi bien sa vie, ses idées, que son œuvre. Elle lui inspirera de nombreux recueils poétiques dont. Dans ce poème, Aragon reproduit, dans son propre monologue, celui de la femme aimée. Il donne la parole à Elsa qui définit pour lui, comme la Muse antique, un "art poétique" tout à fait particulier
1 Tu me dis que ces vers sont obscurs et peut-être Qu'ils le sont moins pourtant que je ne l'ai voulu Sur le bonheur volé fermons notre fenêtre De peur que le jour n'y pénètre
5 Et ne voile à jamais la photo qui t'a plu
Tu me dis Notre amour s'il inaugure un monde C'est un monde où l'on aime à parler simplement Laisse là Lancelot laisse la Table Ronde Yseut Viviane Esclarmonde
10 Qui pour miroir avaient un glaive déformant
Lis l'amour dans mes yeux et non pas dans les nombres Ne grise pas ton cœur de leurs philtres anciens Les ruines à midi ne sont que des décombres C'est l'heure où nous avons deux ombres
15 Pour mieux embarrasser l'art des sciomanciens
La nuit plus que le jour aurait-elle des charmes Honte à ceux qu'un ciel pur ne fait pas soupirer Honte à ceux qu'un enfant tout à coup ne désarme Honte à ceux qui n'ont pas de larmes
20 Pour un chant dans la rue une fleur dans les prés
Tu me dis laisse un peu l'orchestre des tonnerres Car par le temps qu'il est il est de pauvres gens Qui ne pouvant chercher dans les dictionnaires Aimeraient des mots ordinaires
25 Qu'ils se puissent tout bas répéter en songeant
Si tu veux que je t'aime apporte-moi l'eau pure A laquelle s'en vont leurs désirs s'étancher Que ton poème soit le sang de ta coupure Comme un couvreur sur la toiture
30 Chante pour les oiseaux qui n'ont où se nicher
Que ton poème soit l'espoir qui dit A