Commentaire
En 1901, Guillaume Apollinaire est engagé comme précepteur d’une jeune fille de la noblesse allemande, vivant en Rhénanie. Là, il tombe amoureux d’Annie Playden, la gouvernante anglaise. Celle-ci répond d’abord à son amour, puis reprend sa parole et rentre dans son pays. A deux reprises, Apollinaire la poursuit jusqu’à Londres, en novembre 1903, puis en mai 1904. Ces voyages seront vains.
Le titre de « La Chanson du Mal-Aimé » présente d’emblée un néologisme, le « Mal-Aimé », mot créé par l’auteur sur le modèle de « bien-aimé » et s’opposant à lui. Le « Mal-Aimé » est le seul nom donné ici au protagoniste.
Le poème commence par un récit à la première personne, utilisant le passé simple et l’imparfait. Un soir, dans le brouillard, à Londres, le Mal-Aimé croit voir venir à sa rencontre la femme qu’il aime. Mais il rectifie son erreur : il ne s’agit que d’un voyou qui lui lance un regard méprisant et s’en va. Pourtant, le Mal-Aimé se lance en vain à sa poursuite, tout en affirmant la persistance de l’amour qu’il éprouve pour cette femme. Il fait alors une deuxième rencontre, celle d’une femme saoule au regard dur. Elle ressemble aussi à celle qu’il aime, mais on dirait aussi une prostituée. Il prend alors conscience de « La fausseté de l’amour » (v. 25), sentiment qui promet ce qu’il ne peut tenir.
Nous étudierons successivement la présentation des personnages, puis le ton et le décor, qui suggèrent d’abord un univers de rêve puis un monde de cauchemar, et enfin l’expresion du lyrisme, qui mêle tradition et invention.
I) Présentation des personnages
1) Les deux protagonistes et les deux personnages rencontrés
L’homme qui dit « je » n’a de nom que dans le titre. C’est lui qui raconte l’histoire et qui l’a vécue dans un passé indéterminé, « Un soir (…) à Londres » (v. 1). La femme, qui fut « bien aimée » (v.12), n’est pas davantage nommée. Elle apparaît d’abord comme « tu » dans le discours du Mal-Aimé