La Peste a souvent été interprétée comme une transposition de l’Occupation allemande en France ainsi que de l’organisation de la Résistance qui s’ensuivit. Soit dit en passant, l’écrivain ne le démentait pas, et paraissait lui-même légitimer cette vision allégorique : « La Peste, dont j’ai voulu qu’elle se lise sur plusieurs portées, a cependant comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme. La preuve en est que cet ennemi qui n’est pas nommé, tout le monde l’a reconnu, et dans tous les pays d’Europe. […] La Peste, dans un sens, est plus qu’une chronique de la résistance. Mais assurément, elle n’est pas moins. » Ainsi peut-on tisser d’innombrables analogies entre le récit et la réalité historique : l’aveuglement et le refus des populations à admettre le fléau rappelle inévitablement le refus de croire en la véridicité du nazisme, qui a plongé les alliés dans l’insouciance ; la lutte des uns contre la peste et le profit des autres dans le fléau rappellent l’opposition entre réseaux de la Résistance et collaboration ; mais le plus flagrant demeure le traitement des cadavres qui, premièrement entassés dans des fosses, puis inhumés au paroxysme de l’épidémie, doivent remémorer la douloureuse réalité des camps de concentration : « Quand les voyages de l’ambulance étaient terminés, on amenait les brancards en cortège, on laissait glisser au fond, à peu près les uns à côté des autres, les corps dénudés et légèrement tordus et, à ce moment, on les recouvrait de chaux vive, puis de terre, mais jusqu’à une certaine hauteur seulement, afin de ménager la place des hôtes à venir. […] Un peu plus tard cependant, on fut obligé de chercher ailleurs et de prendre encore du large. Un arrêté préfectoral expropria les occupants des concessions à perpétuité et l’on achemina vers le four crématoire tous les restes exhumés. Il fallut bientôt conduire les morts de la peste eux-mêmes à la crémation. » (III, 1) Néanmoins, la Peste ne s’arrête pas à une simple