Doit-on apprendre à devenir soi?
On est pas soi, on le devient. Gilbert Simondon dirait, en son langage, que l'homme est un processus d'individuation psychique et collective. Voilà un concept précieux mais dont il faut éclairer le sens. Car comment devient-on soi? Quelles sont les conditions du processus d'individuation? Si la singularité n'est pas donnée, je commence par acquérir une identité grâce à l'éducation et à la socialisation, je commence donc par m'inscrire dans une culture, dans une langue, dans un système d'appartenances multiples. Tout cela conditionne le sujet que je suis appelé à devenir. Appelé à devenir, en effet, car je ne suis un « soi » véritable, une ipséité véritable dirait la philosophie, qu'à la condition de m'approprier singulièrement cette identité collective particulière, cet héritage d'un monde particulier. L'éducation que je reçois ne m'apprend donc pas nécessairement à devenir une personne singulière, un soi singulier. Si l'homme naît sans qualités, comme nous l'enseigne le mythe de Prométhée et d'Epiméthée, l'humanité est toujours à venir et d'un à venir incalculable. Le devenir soi n'est donc possible qu'à la condition que s'ouvre pour soi l'incalculable de l'avenir. Et c'est cette ouverture qui appelle à devenir soi. Comment cette ouverture peut-elle advenir? De mille manières, cela peut advenir à l'occasion d'une rencontre, à l'occasion de la rencontre d'une oeuvre ou d'une personne, à l'occasion d'un événement. Mais cette rencontre ou cet événement ne m'introduisent à un processus d'individuation psychique qu'à la condition de déborder le savoir dont j'ai hérité à travers mon éducation et de me confronter à l'inconnu que je suis pour moi-même, à l'autre que je suis pour moi-même. « Je est un autre », disait si justement Rimbaud. Et j'éprouve l'autre que je suis, en moi-même, pour moi-même que lorsque je me trouve dans la situation de devoir accueillir l'autre -ce qui me déborde, ce que je ne peux identifier à partir de ce