Emmanuel mounier
"Les conditions de la relation authentique à autrui :
1˚ Sortir de soi. La personne est une existence capable de se détacher d'elle-même, de se déposséder, de se décentrer pour devenir disponible à autrui. Pour la tradition personnaliste (chrétienne notamment) l'ascèse de la dépossession est l'ascèse centrale de la vie personnelle ; ne libère les autres ou le monde que celui qui s'est d'abord ainsi libéré lui-même. Les anciens parlaient de lutte contre l'amour-propre : nous l'appelons aujourd'hui égocentrisme, narcissisme, individualisme.
2˚ Comprendre. Cesser de me placer de mon propre point de vue pour me situer au point de vue d'autrui. Non pas me chercher dans un autre choisi semblable à moi, non pas connaître autrui d'un savoir général (le goût de la psychologie n'est pas l'intérêt à autrui), mais embrasser sa singularité de ma singularité, dans un acte d'accueil et un effort de recentrement. Être tout à tous sans cesser d'être, et d'être moi : car il est une manière de tout comprendre qui équivaut à ne rien aimer et à n'être plus rien ; dissolution en autrui, non pas compréhension d'autrui .
3˚ Prendre sur soi, assumer le destin, la peine, la joie, la tâche d'autrui, « avoir mal à sa poitrine ».
4˚ Donner. La force vive de l'élan personnel n'est ni la revendication (individualisme petit-bourgeois) ni la lutte à mort (existentialisme), mais la générosité ou la gratuité, c'est-à-dire à la limite le don sans mesure et sans espoir de retour. L'économie de la personne est une économie de don, et non pas de compensation ou de calcul. La générosité dissout l'opacité et annule la solitude du sujet, même quand elle ne reçoit pas de réponse : contre le rang serré des instincts, des intérêts, des raisonnements, elle est à proprement parler, bouleversante. Elle désarme le refus en offrant à l'autre une valeur éminente à ses propres yeux, au moment où il pouvait s'attendre à être rejeté comme un objet