le roman de renart
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Le Roman de Renart
Le Roman de Renart
Anonyme
Prologue
Où l’on voit comment le Goupil et le Loup vinrent au monde, et pourquoi le premier s’appellera Renart, le second
Ysengrin.
Seigneurs, vous avez assurément entendu conter bien des histoires : on vous a dit de Paris comment il ravit Hélène, et de Tristan comme il fit le lai du Chevrefeuil ; vous savez le dit du Lin et de la Brebis, nombre de fables et chansons de geste : mais vous ne connaissez pas la grande guerre, qui ne finira jamais, de Renart et de son compère
Ysengrin. Si vous voulez, je vous dirai comment la querelle prit naissance et avant tout, comment vinrent au monde les deux barons.
Un jour, j’ouvris une armoire secrète, et j’eus le bonheur d’y trouver un livre qui traitait de la chasse. Une grande lettre vermeille arrêta mes yeux ; c’était le commencement de la vie de Renart. Si je ne l’avais pas lue, j’aurais pris pour un homme ivre celui qui me l’eût contée ; mais on doit du respect à l’écriture et, vous le savez, celui qui n’a pas confiance aux livres est en danger de mauvaise fin.
Le Livre nous dit donc que le bon Dieu, après avoir puni nos premiers parents comme ils le méritaient, et dès qu’ils furent chassés du Paradis, eut pitié de leur sort. Il mit une baguette entre les mains d’Adam et lui dit que, pour obtenir ce qui lui conviendrait le mieux, il suffisait d’en frapper la mer. Adam ne tarda pas à faire l’épreuve : il étendit la baguette sur la grande eau salée ; soudain il en vit sortir une brebis. « Voilà, » ce dit-il, « qui est bien ; la brebis restera près de nous, nous en aurons de la laine, des fromages et du lait. »
Ève, à l’aspect de la brebis, souhaita quelque chose de mieux. Deux brebis, pensa-t-elle, vaudront mieux qu’une. Elle pria donc son époux de la laisser frapper à son tour. Adam (nous le savons pour notre malheur), ne pouvait rien refuser à sa femme : Ève reçut de lui la baguette et l’étendit sur les flots ; aussitôt parut