Les essais de montaigne, livre i chapitre 26
« Former un homme »
Michel de Montaigne, Essais, Extrait Livre I – 26, « De l’institution des enfants », 1580-1592
Comme les pas que nous employons à nous promener dans une galerie, quoi qu’il y en ait trois fois autant, ne nous lassent pas comme ceux que nous mettons à quelque chemin desseigné1, aussi notre leçon, se passant comme par rencontre2, sans obligation de temps et de lieu, et se mêlant à toutes nos actions, se coulera sans se faire sentir. Les jeux mêmes et les exercices seront une bonne partie de l’étude : la course, la lutte, la musique, la danse, la chasse, le maniement des chevaux et des armes. Je veux que la bienséance extérieure, et l’entregent3, et la disposition de la personne, se façonne quant et quant4 l’âme. Ce n’est pas une âme, ce n’est pas un corps qu’on dresse : c’est un homme ; il n’en faut pas faire à deux5. Et, comme dit Platon, il ne faut pas les dresser l’un sans l’autre, mais les conduire également, comme un couple de chevaux attelés à même timon6. Et, à l’ouïr, semble-t-il pas prêter plus de temps et de sollicitude aux exercices du corps, et estimer que l’esprit s’en exerce quant et quant4, et non au rebours.
Au demeurant, cette institution se doit conduire par une sévère douceur, non comme il se fait. Au lieu de convier les enfants aux lettres, on ne leur présente, à la vérité, que horreur et cruauté.