Les filles du feu
Publication: 1854 Source : Livres & Ebooks
Chapitre 1
Nous sommes déjà loin de ces discussions littéraires, de cette guerre d’écrivains qui signala les dernières années de la restauration. C’était un bon temps pour la littérature, temps de foi et d’enthousiasme, de paroles et d’actions, de luttes et de victoires, lorsque Henri III et Hernani étaient des évènemens à côté de l’adresse des 22l et des bouleversemens ministériels, et qu’un combat s’engageait, animé, décisif, sur les marches du trône entre roi et peuple, sur le théâtre et dans les livres entre unité et variété ; lorsque enfin, comme à toutes les époques de rénovation, l’avenir et le passé se disputaient le présent, l’un pressé d’être, et l’autre lent à mourir. Alors tel avait, tout le jour, bataillé contre le pouvoir, à la tribune .et dans les journaux, qui, le soir, venait siffler la liberté sur la scène, et tel autre, qui, dans la forme, s’était fait le champion des idées nouvelles, était resté, au fond, le partisan des idées anciennes, et n’oubliait pas de brûler chaque matin son grain d’encens, vers ou prose, sur les autels de la légitimité. Chose curieuse et pourtant naturelle : il est si rare que l’on fasse tout d’un coup le tour d’une idée ! Et puis, la liberté ressemble si souvent à la licence, le pouvoir singe si bien le despotisme, qu’on est toujours prêt à calomnier l’une et à médire de l’autre, pour peu qu’on ait intérêt à se tromper. Et puis encore, incessamment ballotté d’un souvenir à une espérance, il est aussi impossible à l’homme de renier le passé que de nier l’avenir. Et puis enfin, entre ces deux grandes choses, pouvoir et liberté, foi et science, unité et variété, traditions et progrès, quelques noms qu’on leur donne, il y a bien différence, succession, développement, mais non pas contradiction ; et quand l’opposition existe, lorsque la guerre éclate, c’est dans les passions des hommes qu’il faut en chercher la cause, c’est à leurs intérêts