Poemes
L'Etranger- Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ?ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère ?- Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère.- Tes amis ?- Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'estresté jusqu'à ce jour inconnu.- Ta patrie ?- J'ignore sous quelle latitude elle est située.- La beauté ?- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.- L'or ?- Je le hais comme vous haïssez Dieu.- Eh ! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas...là-bas... les merveilleux nuages !
L'albatrosSouvent, pour s'amuser, les hommes d'équipagePrennent des albatros, vastes oiseaux des mers,Qui suivent, indolents compagnons de voyage,Le navire glissant sur les gouffres amers.A peine les ont-ils déposés sur les planches,Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,Laissent piteusement leurs grandes ailes blanchesComme des avirons traîner à côté d'eux.Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !L'un agace son bec avec un brûle-gueule,L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;Exilé sur le sol au milieu des huées,Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Après trois ans
Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,Je me suis promené dans le petit jardinQu’éclairait doucement le soleil du matin,Pailletant chaque fleur d’une humide étincelle.
Rien n’a changé. J’ai tout revu : l’humble tonnelleDe vigne folle avec les chaises de rotin…Le jet d’eau fait toujours son murmure argentinEt le vieux tremble sa plainte sempiternelle.
Les roses comme avant palpitent ; comme avant,Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,Chaque alouette qui va et vient m’est connue.
Même j’ai retrouvé debout la Velléda,Dont le plâtre s’écaille au bout de l’avenue,- Grêle, parmi l’odeur fade du réséda.
Paul Verlaine, Poèmes saturniens
A une femme