Recit
Molière
Les Fourberies de Scapin, Acte I, scène 4 (extrait)
ARGANTE, apercevant Sylvestre.
Ah ! ah ! vous voilà donc, sage gouverneur de famille, beau directeur de jeunes gens !
SCAPIN
Monsieur, je suis ravi de vous voir de retour.
ARGANTE
Bonjour, Scapin. (À Sylvestre.) Vous avez suivi mes ordres vraiment d'une belle manière, et mon fils s'est comporté fort sagement pendant mon absence !
SCAPIN
Vous vous portez bien, à ce que je vois ?
ARGANTE
Assez bien. (À Sylvestre.) Tu ne dis mot, coquin, tu ne dis mot.
SCAPIN
Votre voyage a-t-il été bon ?
ARGANTE
Mon Dieu, fort bon. Laissez-moi un peu quereller en repos
SCAPIN
Vous voulez quereller ?
ARGANTE
Oui, je veux quereller.
SCAPIN
Et qui, Monsieur ?
ARGANTE, montrant Sylvestre.
Ce maraud-là.
SCAPIN
Pourquoi ?
ARGANTE
Tu n'as pas ouï parler de ce qui s'est passé dans mon absence ?
SCAPIN
J'ai bien ouï parler de quelque petite chose.
ARGANTE
Comment, quelque petite chose ! Une action de cette nature ?
SCAPIN
Vous avez quelque raison...
ARGANTE
Une hardiesse pareille à celle-là ?
SCAPIN
Cela est vrai.
ARGANTE
Un fils qui se marie sans le consentement de son père ?
SCAPIN
Oui, il y a quelque chose à dire' à cela. Mais je serais d'avis que vous ne fissiez point de bruit.
ARGANTE
Je ne suis pas de cet avis et je veux faire du bruit, tout mon soûl. Quoi tu ne trouves pas que j'aie tous les sujets du monde d'être en colère ?
SCAPIN
Si fait ! j'y ai d'abord été, moi, lorsque j'ai su la chose, et je me suis intéressé pour vous jusqu'à quereller votre fils. Demandez-lui un peu quelles belles réprimandes je lui ai faites, et comme je l'ai chapitré sur le peu de respect qu'il gardait à un père dont il devait baiser les pas. On ne peut pas lui mieux parler, quand ce serait vous-même. Mais quoi ! je me suis rendu à la raison et j'ai considéré que, dans le fond, il n'a pas tant de tort