Suis-je le mieux placé pour savoir qui je suis ?
Qui peut prétendre mieux que moi les sentiments qui agitent mon âme et leurs nuances fugitives ? Le point de vue que j’occupe sur ma vie psychique me semble privilégié, voire exclusif : je ne suis pas, comme les autres lorsqu’il s’intéresse à moi, obligé de deviner la signification de mes comportements en formulant sur eux des hypothèses plus ou moins complexes. Ainsi peuvent-ils se méprendre sur mon attitude lorsque je ris jaune, alors que je sais d’un savoir immédiat ce que mon rire dissimule. La présence d’autrui ne semble donc pas pouvoir apporter quelque chose d’essentiel relativement à la conscience que j’ai de moi-même. Pourtant en certaines circonstances, autrui paraît plus clairvoyant que moi sur mon propre compte : chacun sait bien qu’il ne lui est pas indispensable de consulter un psychanalyste pour apprendre sur lui-même des vérités qu’il aurait volontiers laissées à l’ombre se sa mauvaise foi ou dans la nuit de son inconscient. Tout homme, en effet, ne met jamais autant d’habileté à mentir et à flagorner que lorsqu’il lui faut se duper lui-même. Il faut donc se demander si chacun d’entre nous est bien le mieux placé pour savoir ce qu’il est.
LA CONSCIENCE UN TEMOIN FIABLE ?
« Pour savoir de science certaine qu’un être est conscient, écrit Bergson dans Essai sur les données immédiates de la conscience, il faudrait pénétrer en lui, coïncider avec lui, être lui. Je vous défie de prouver, par expérience ou par raisonnement, que moi, qui vous parle en ce moment, je sois un être conscient. Je pourrais être un automate ingénieusement construit par la nature, allant, venant, discourant ; les paroles même par lesquelles je me déclare conscient pourraient être prononcé inconsciemment ». Si personne ne peut assurer que je suis un être conscient, on peut comprendre que nul ne puisse, a fortiori, prétendre franchir le mur qui sépare ma conscience et ses vécus des autres consciences. Ma vie psychique m’apparaît comme un