VIVI
M. Bérenger EMILION
8, rue des roses
24000 PERIGUEUX
Melle Marie GAUTIER
10, rue Victoria
24000 PERIGUEUX
Périgueux, le1er février 1936
Mademoiselle Marie, Je me permets de vous écrire en ce jour, car j’ai le sentiment qu’il n’y a que vous qui puissiez me comprendre. Il est vrai que cela fait environ une dizaine de jours que je n’ai plus aucun contact avec vous, mais j’espère de tout cœur que vous n’êtes pas encore passé de l’autre côté de la barrière. Vous qui connaissez aussi bien que moi Monsieur Jean, vous ne devinerez jamais ce qui lui arrive. Je suis hors de moi qu’une personne aussi géniale, avec qui j’ai partagé des moments incroyables puisse penser une chose pareille. Je ne le comprends plus, je ne le reconnais plus. Je vous explique, hier je me suis retrouvé chez lui parce qu’il était malade et je voulais avoir de ses nouvelles. Et nous avons eu un débat sur les rhinocéros, qui est la polémique du moment. Jean pense que les rhinocéros sont des créatures comme nous, que nous n’avons pas la même mentalité, certes mais que la nôtre n’est surement pas mieux que la leur. Et le meilleur pour la fin, il a dit que la nature avait ses lois et que la morale était antinaturelle et ainsi il a clairement avancé qu’il fallait démolir la philosophie et les valeurs bâties par la civilisation humaine. Si je comprends bien, il veut en quelque sorte remplacer la morale par la loi de la jungle, pour être grossier. Etes-vous d’accord avec lui ? N’est-ce donc pas inimaginable, surtout de sa part ? Pourtant depuis qu’on se connait lui et moi avions la même manière de penser et la même façon de voir les choses. Je ne voulais pas perdre le contrôle de moi-même et partir dans un débat interminable. Comme vous savez Jean et moi voulons toujours avoir le dernier mot. Mais cette fois-ci je me disais que l’effet de la douleur lui faisait dire des absurdités à mon goût. Malgré cette légère altercation, je n’ai plus de nouvelles de lui