L’absurde dans les dialogues de Ionesco l’eau anglaise. Nous avons bien mangé, ce soir. C’est parce que nous habitons dans les environs de Londres et que notre nom est Smith.

D’entrée de jeu apparaissent quelques caractéristiques de l’univers diégétique de La cantatrice chauve. La scène se passe dans un décor à la fois banal et même hyperbanal (conformément à la représentation stéréotypée des activités d’après-dîner au sein d’un couple, Monsieur lit le journal pendant que Madame reprise les chaussettes), et exotique dans son « anglicité » paroxystique, que suggère le martèlement saugrenu de l’adjectif « anglais ». Mais surgit bien vite dans le décor une note discordante : celle de la pendule, qui « frappe dix-sept coups » (anglais bien sûr). À peine installés dans le confort d’un intérieur bourgeois, cette pendule vient décevoir notre attente et nous déstabiliser. Nous voilà avertis : le monde qui va nous être donné à voir est tout à la fois vraisemblable et invraisemblable, oscillant entre normalité excessive et anormalité radicale. Cet introït suggère en même temps ce qui va se confirmer par la suite : que dans cet univers diégétique, ce qui est avant tout perturbé (plus par exemple que la composante spatiale) c’est la temporalité, ce que symbolise le dérèglement de la pendule3, qui frappe d’abord dix-sept coups, puis un peu plus tard sonne successivement sept fois, trois fois, puis « aucune fois », et plus tard encore sonne « tant qu’elle veut ». C’est que le comportement de cette pendule n’a en fait pas grand chose à voir avec celui d’une pendule normale : d’une part, elle n’indique jamais l’heure qu’il est — sans pour autant indiquer le « contraire » de l’heure réelle, malgré ce qu’affirme à la fin de la scène VIII, absurdement, M. Smith au Pompier qui lui demande l’heure : « Elle marche mal. Elle a l’esprit de contradiction. Elle indique toujours le contraire de l’heure qu’il est ». D’autre part, cette pendule sert à d’autres fonctions, de nature