Introduction – Proposer un objectif principal à la poésie apparaît au XXI° siècle comme une gageure, voire une provocation, tant ce genre littéraire a connu de formes variées, d’objectifs différents, en particuliers au cours du XX° siècle. C’est pourtant ce que fait Musset, en plein romantisme, lorsqu’il donne la parole à la Muse de sa poésie. Dans sa Nuit de mai en 1835, il organise un dialogue entre un poète blessé par la vie, victime d’une douleur qui lui paraît insurmontable, et la Muse, divinité antique, allégorie de l’inspiration poétique. Celle-ci tente de le convaincre d’écrire et, pour cela, d’utiliser sa douleur comme sujet et moteur de son inspiration poétique : « les plus désespérés sont les chants les plus beaux/et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots »- affirme-t-elle en exhortant le poète à la poésie élégiaque. On comprend que cette divinité, qui a accès à l’idéal, puisse parler de chants immortels, mais au rang des humains, on peut se demander si la recherche du pur sanglot est un objectif principal que l’on peut assigner à la poésie, genre si créatif, qu’il est étymologiquement « la création verbale » par excellence. Nous verrons d’abord les atouts indéniables de la poésie élégiaque, quand il s’agit de toucher le cœur des lecteurs ; mais nous montrerons ensuite que la poésie peut avoir d s objectifs très différents et qu’il n’en est donc pas de principal.

1- La poésie lyrique, surtout lorsqu’elle est plaintive, donc élégiaque, est celle qui touche le plus les lecteurs, qui les émeut aux larmes – cette idée du poète souffrant, qui épanche sur le papier sa douleur réelle pour en vider le venin et la transformer en beauté verbale, est très répandue, en particuliers dans la poésie romantique – mais elle trouve des échos dans les poèmes créés lors d’événements tragiques aux épisodes pathétiques – on pense aux poèmes de la résistance, notamment ceux que conçut Aragon.
1.1- Le désespoir, la douleur, la plainte ont des accents humains qui