Amour fragile
Amours fragiles
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Victor Cherbuliez
Amours fragiles
La Bibliothèque électronique du Québec Collection À tous les vents Volume 800 : version 1.0
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Amours fragiles
Édition de référence : Paris, Librairie Hachette et Cie, 1906. Cinquième édition.
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Le roi Apépi
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I
Un soir, en sortant de son cercle, où il avait dîné, le marquis de Miraval trouva chez lui une lettre de sa nièce, Mme de Penneville, qui lui écrivait de Vichy : « Mon cher oncle, les eaux m’ont fait du bien ; j’avais tout lieu jusqu’aujourd’hui d’être satisfaite de ma cure ; mais le bon effet que j’en attendais sera compromis, je le crains, par une fâcheuse nouvelle que je reçois à l’instant et qui me cause plus de trouble, plus de tracas que je ne puis vous le dire. Les médecins déclarent que le premier devoir des personnes qui souffrent d’une hépatite chronique est de ne point se faire de soucis ; je ne m’en fais pas, mais on m’en donne. Je me ronge l’esprit en pensant à une certaine Mme Corneuil, c’est bien ainsi qu’on la nomme. Je n’avais jamais entendu parler de cette femme, et je la déteste sans la connaître. Vous avez toujours été fort curieux et fort répandu. Mon
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cher oncle, je suis sûre que vous êtes au fait ; apprenez-moi bien vite qui est Mme Corneuil. Cela m’importe beaucoup ; je vous expliquerai pourquoi. » Le marquis de Miraval était un ancien diplomate, qui avait commencé sa carrière sous le règne de Louis-Philippe et qui sous l’Empire avait rempli avec honneur plusieurs postes secondaires, dont s’était contentée son ambition. Quand la révolution du 4 septembre l’eut mis à la retraite, il prit son parti en philosophe. Il ne souffrait pas comme sa nièce d’une hépatite chronique ; son foie et sa bile ne l’incommodaient point. Il avait de la santé, un estomac de fer, bon pied, bon œil, et deux cent mille livres de rente, ce qui n’a jamais rien gâté. Comme il voyait le bon côté de toute chose, il se félicitait d’être parvenu à